LA GALERISTE a dit, ‘Je comprends ses actions. Il avait besoin de l’argent. Il avait des compétences spécifiques. Quoi faire d’autre ?’ Elle n’a pas dit la fraude artistique, la contrefaçon. Je l’ai regardé fixement, silencieuse. Elle a continué, ‘Tu sais, il m’a dit que toutes les femmes sont les prostituées dans une façon. Je pense qu’il a raison. Je me suis sentie nauséeuse. Ces révélations ne s’accordaient pas avec son vernis poli de professionnel.
Les invités étaient accueillis par un quatuor à cordes à l’entrée de la maison somptueuse. Une corde de velours créait une section d’œuvres d’art de premier ordre, comme un musée. Le personnel de service portait un défilé interminable d’hors d’œuvres et de champagne magnum. La galeriste s’assoyait sur les genoux d’un homme laid. Elle souriait et gloussait, une performance d’une courtisane expérimentée. Plus tard, avant mon départ, l’homme laid a mis sa carte de visite dans ma paume, un sourire sournois sur son visage. Des années plus tard, je l’ai entendu se vanter à un autre homme qu’il la baisait.
L’homme laid a été accusé de multiples cas de fraude artistique et de contrefaçon. Un ami galeriste m’a dit qu’un artiste a pu lui faire de la prison avec son témoignage. L’artiste ne l’a pas fait. Bien que l’homme laid fût coupable, l’artiste n’a pas le cœur de le faire. Peut-être d’autres raisons existent pour sa réticence.
Le manager d’un artiste a ri et fanfaronné de son client, ‘Il était si drogué sur des médicaments qu’il s’assoupissait. Il piquait de nez et sa tête étalait les peintures. Tout le temps. Je les complétais pour lui. Il n’a jamais rendu compte !
Après la mort d’un autre artiste, j’ai été invitée à diner au penthouse d’un galeriste. Sur le mur, il y avait une énorme peinture, un pastiche maladroit. Le manager a dit que c’était la peinture de l’artiste décédé. Je ne l’ai pas cru. Plusieurs mois plus tard, la peinture a été vendue pour une grande somme à une salle de vente aux enchères.
Au déjeuner avec le commissaire-priseur international, j’ai dit que la galeriste – une connaissance mutuelle – a dit qu’elle ‘soutiendrait’ mon art à la vente aux enchères. Elle a expliqué que si un de mes œuvres d’art ne reçoit pas assez d’offres, elle ferait une offre plus haute. Un enregistrement public existerait du prix fixé par la galeriste, et elle montrerait ce prix aux acheteurs privés. Le commissaire-priseur international a reculé. Il a dit, diplomatiquement, ‘Euh, ce n’est pas ce qui est censé arriver.’
Il y a longtemps, on m’a fait pression d’accepter un contrat de cinq années afin de gonfler la valeur de mon art. Le contrat précisait la quantité d’œuvres d’art qu’il fallait produire et les prix auxquels chaque œuvre aurait été vendu et racheté à la vente aux enchères par un groupe d’acheteurs (anonymes, protégés par la loi sur la confidentialité). Après ces cinq années, un livre aurait été écrit par un de ces acheteurs. Le livre et l’enregistrement public des prix justifieraient la valeur gonflée de mon art. A la fin, les œuvres d’art qui appartiendraient au groupe auraient été déchargés - vendus aux collectionneurs légitimes. Dans le monde artistique, cette pratique est appelée price ramping, une manière de fixer le prix des œuvres d’art. J’ai refusé. Sur l’avis de mon père, j’ai gardé le contrat écrit à la main.
Une conversation fortuite avec un coursier d’art tournait vers le price ramping. Il a souri et haussé les épaules, ‘Tant que tu ne se retrouves pas avec le bébé sur les bras !’ J’ai répondu, ‘Tu dis que tu es d’accord d’arnaquer les artistes et les collectionneurs ? Que tu ne vois pas de problème quand on vole un tas de travail d’un artiste si peu après sa mort ? C’était une remarque désinvolte, pas visée à lui. Mais il m’a répondu d’un ton brusque, ‘Tu sais beaucoup.’ Tout le monde sait. C’est un secret de polichinelle. Sa peau rougissait, et puis blanchissait. Son visage, son cou. Même son avant-bras. Je n’ai jamais vu une telle transformation mais j’ai compris que c’était à cause de la peur. Plus tard, un ami militaire a dit, de manière détachée, ‘Tu as raté une opportunité là-bas. Si tu l’as interrogé, il aurait avoué tout.’ Mais un aveu à quel bout si tout le monde sait déjà ?
J’AI PASSÉ à côté d’une de mes premières peintures, exposée dans un café. C’était une commission de la galeriste, d’un temps avant que je l’aie bien connue. Avant que j’aie coupé tous les liens avec elle. J’ai commandé un café et trouvé une table. Je me suis assisse près de la peinture, essayant de voir comment elle a vieilli. La surface me parait différente. Comme le plastique. Je l’ai regardé de près. Peut-être il fallait la nettoyer ? Elle avait une texture un peu bosselée, comme la toile. Mais je l’avais peinte sur panneau lisse. La colère a surgi. Ce n’était pas ma peinture. C’était une photographie de ma peinture, imprimée sur toile, plastifiée afin de répliquer la brillance de la peinture laque, et tendue sur un cadre de la même taille de l’original. Un photographe professionnel a documenté la peinture originale sur les diapositives de pellicule – l’équivalent d’une photographie de résolution exceptionnellement haute. Mes peintures en laque reflètent la lumière et sont difficiles de bien capturer en photographie. Il faut les bien allumer de multiples directions dans un studio. La galeriste m’a donné une diapositive et en gardé une elle-même. Elle a dit que c’était pour son dossier. Plus tard, chez moi, après avoir recouverte de la choque initiale, je l’ai appelée. J’ai dit que j’avais vu la reproduction de ma peinture. Elle a dit, ‘Je ne sais pas de quoi tu parles.’ Avant que je sois retournée au café, la reproduction est disparue. Quand j’ai demandé après la peinture, les membres du personnel m’ont dit qu’ils ne savaient pas de quoi j’ai parlé. Au fil des années, lorsque l’internet s’est devenu omniprésent, je voyais la reproduction de ma peinture en vente sur des sites-web variés. Chaque fois, je signalais au site-web et elle était enlevée. Finalement, j’ai localisé le vendeur grâce à son empreinte numérique. Je l’ai envoyé un courriel. Il a exigé de l’argent. J’ai refusé et initié un procès. Après une journée d’échanges pénibles, il m’a envoyé la preuve de la destruction de la reproduction : elle a été coupée en tout petits morceaux et balancée.
Lorsque je me déménageais afin d’être avec mon père pendant qu’il mourait du cancer, une contrefaçon mal réalisée a été mise en vente par une petite salle de ventes. Ce n’est que beaucoup plus tard que je l’ai découverte via une base de données internationale en ligne qui liste des ventes passées de mon art. J’ai appelé la salle de ventes. Le PDG m’a dit que la contrefaçon était soumise par un encadreur. J’ai reconnu son nom. Le PDG a dit, ‘Ça ne sert à rien d’aller plus loin. La reproduction n’a pas été achetée. L’encadreur dira que la peinture était laissée chez lui et qu’il n’était pas le propriétaire. Il dira qu’il ne l’a pas plus.’ Ses mots ont l’air d’une déclaration préfabriquée. J’ai demandé pourquoi il a mis en vente un œuvre d’art sans aucune indication de son authenticité. ‘Nous sommes une petite salle de ventes. Nous avons une rotation fréquente. Nous n’avons pas le temps de vérifier l’authenticité ni la provenance.’ ‘Votre entreprise prétend vendre des œuvres d’arts authentiques. Si vous ne vérifiez ni l’authenticité ni la provenance, votre entreprise n’est pas ce que vous prétendez d’être.’ Le silence. J’ai fait des captures d’écran du site-web et je les ai sauvegardés sur mon ordinateur ainsi que sur un disque externe. Puis, j’ai envoyé un courriel à la base de données internationale de ventes. On m’a envoyé un formulaire que j’ai rempli, signé et retourné. La fausse annonce de vente a été enlevée.
RÉCEMMENT J’AI PARLÉ aux PDG de plusieurs grandes salles de ventes qui, depuis plus d’une décennie, ont vendu mon art sur le marché secondaire. Chaque PDG m’a demandé si j’étais représentée par une galerie commerciale. Je les ai donnés ma réponse habituelle, ‘Non, je trouve le public de mon art directement, via l’internet’. Ma pratique est bien connue dans le monde de l’art australien. Depuis l’article de Nabila Ahmed intitulé ‘State-of-the-art selling rivals play to the galleries’ (‘Rivaux de ventes état-de-l’art épatent la galerie’) parait sur la couverture dans la section des affaires du journal The Age en 2006. Mais mon approche est encore si peu commun – au moins pour une artiste qui a un marché secondaire signifiant – d’éliciter la curiosité. Un des PDG m’a répondu, ‘Ça fait du sens.’ L’autre a dit, ‘Maintenant nous organisons des enchères entièrement en ligne. C’est le futur… Tu organises le droit de l’auteur toi-même, n’est-ce pas ?’ ‘Si. Comme ça je peux vérifier l’authenticité et la provenance. S’il y a un problème, nous pouvons l’adresser avant que l’œuvre d’art soit mis en vente. Comme tu sais bien, souvent on essaie de créer des certifications fausses d’authenticité et de provenance via les salles de ventes grâce aux enregistrements publics de ventes. Il a fait oui de la tête. Le DAF a demandé, ‘Ce n’est pas tout vérifié par une agence du droit de l’auteur, Copyright Agency ?’ Le PDG a répondu, ‘Non. Cette agence fait les contrats de licence.’
Copyright Agency est une agence non lucrative qui récupe les redevances pour la réutilisation de textes et d’images de la part des membres.
Bien que je ne sois pas membre, je suis reconnaissante du travail de l’agence et nous avons de bonnes relations professionnelles. Je connais l’agence parce qu’elle est désignée par le gouvernement australien de récupérer les redevances, qui sont applicables à certaines ventes de mon art sur le marché secondaire.
Le galeriste du marché secondaire m’a appelé pour me dire qu’il avait vendu une de mes peintures, une vente à laquelle les redevances étaient applicables. Bien que la plupart des ventes soient signalées à Copyright Agency, on peut aussi s’en occuper directement. Ça ne fait aucune différence au galeriste. Il m’offre l’option de m’en occuper directement parce que cette méthode assure que je sois payée plus vite, et que je ne perde pas 16,5 % des redevances aux frais administratifs de l’agence. Ce geste attentionné a renforcé nos relations professionnelles, qui évoluaient au cours de la décennie passée. Un appel à propos des redevances est aussi une opportunité de se parler. Notre conversation a tourné vers le monde de l’art. Il a dit, ‘J’ai vu beaucoup dans le monde des affaires. Mais j’étais choqué - même moi ! – de ce qui se passe au monde de l’art. Il semble que l’on ignore la gravité de ses indiscrétions.’ On sait. Mais il n’y a aucune conséquence. Alors on fait ce qu’on veut, quoi qu’il en soit. Il a hésité. Est-ce qu’il pense de ses amis qui sont mes ennemis ? Je sais qu’ils sont amis parce qu’il me l’a divulgué il y a longtemps. Depuis lors, nous n’avons pas prononcé leurs noms. Notre conversation avançait. Quand la conversation a été finie, je l’ai envoyé la facture. Il m’a payé par transfert électronique de fonds. L’argent a été dans mon compte après quelques heures.
Une amie qui travaille dans une galerie commerciale travaille aussi pour une clientèle privée. Elle recherche l’utilisation de chaine de blocs, blockchain, dans l’art. Elle croit qu’on pouvait utiliser la chaine de blocs pour authentiquer chaque vente d’un œuvre d’art, et pour construire un système de paiement automatique de redevances. En théorie, on pouvait utiliser cette technologie afin de rationaliser et moderniser le système de redevances. On pouvait créer un enregistrement digital et décentralisé du titre de propriété qui n’est pas corruptible ou contrôlable par aucun mauvais joueur. Pourtant, n’importe qui peut créer de multiples portefeuilles virtuels anonymes, qui sont utilisés pour faire les transactions enregistrées en chaine de blocs. Ce sont les conditions idéales pour le price ramping. Les criminels artistiques traditionnels, des contrefacteurs et des voleurs d’art, auraient été détruits par les criminels d’aujourd’hui, les crypto bros.
APRES UNE PAUSE longue, dramatique, je suis en train de reconstruire ma vie et ma carrière. Pendant cinq années, je recevais un traitement intensif et régulier à un hôpital psychiatrique privé – partiellement à cause de ce qui se passait pendant ma période brève dans le monde artistique commercial traditionnel. J’ai appris à mes dépens que le sentiment d’ayant droit à l’art d’une artiste s’exprime aussi dans la relation aux corps des femmes artistes. Quand j’ai refusé d’acquiescer, j’ai été violée. Au milieu de 2017, je suis retournée à Sydney. J’ai commencé à documenter ma vie, surtout mes processus de créer de l’art et de rétablir ma vie. En ligne, j’ai partagé constamment les deux processus. J’ai supposé que j’aurais dû prouver à mon public – souvent les acheteurs intéressés à des investissements à long terme – que j’étais en bonne santé. Au moins, que j’avais suffisamment récupéré que je puisse créer de l’art et rétablir ma carrière sans retour à l’hôpital. J’ai complété une petite commission et documenté chaque partie du processus, en incluant l’emballage et le courrier. Sur mon bio d’Instagram, j’ai écrit : revenue d’entre les morts. Une année après mon retour, j’ai reçu un courriel : Chère Madame Dooney, nous sommes heureuses d’entendre que vous êtes revenue d’entre les morts. Acceptez-vous des commissions ? Le collectionneur me parle brièvement sur le téléphone, et puis nous nous rencontrons à son bureau. Après quelques semaines, j’ai reçu un billet d’avion par courriel et j’ai pris plusieurs longs vols afin de rencontrer le sujet d’un portrait sur commande privée. J’ai travaillé sur ce portrait pendant trois années. De mi-année 2021 à mi-année 2022, j’ai travaillé sur une série de nouvelles peintures, financée par Mark Carnegie, un mécène et spécialiste du capital risqué. Les courriels lapidaires qu’il m’a envoyés périodiquement m’ont encouragée, et m’ont aidée dans l’évolution de mon travail artistique. Maintenant, je fais de l’art que j’exposerai publiquement cette année. Une autre commission est prévue après cette exposition. Plusieurs magazines ont présenté mon art : ma nouvelle série conceptuelle a fait ses débuts dans le magazine Plateform en 2017 ; une de mes premières grandes peintures a été présentée sur la couverture du magazine Art Edit en 2018 ; et, la même année, un long interview et des nouveaux œuvres photographiques ont été présentés dans le magazine She Shoots Film. Des collectionneuses Natalie et Jamie Forsyth ont parlé de mon art dans un interview au sujet de leur maison par Jane Rocca pour Domain Magazine en 2022. Mon nom a apparu sur la liste des artistes australiens contemporains les mieux connus de Global Australia, un groupe gouvernemental qui travaille d’attirer le talent et le commerce exceptionnels. Au début de 2022, j’ai retiré ma participation d’un projet de film documentaire, qui aurait été une heure de film sur mon travail – et sur moi – à être sortie sur un service de diffusion continu global. Je me suis sentie que le documentaire m’a positionnée comme une victime-survivante qui pleure au camera, plutôt qu’une artiste accomplie. Au lieu de cela, en mi-année 2022, j’ai commencé d’écrire une colonne en chapitres non romanesque qui est publiée en ligne par Coagula Art Journal.
Je me suis consacrée à la création de l’art, à l’écriture, à la reconnexion, à l’expansion de mes réseaux et à ma présence en ligne qui donne la priorité à la communication claire et sensible plutôt qu’au nombre des fans. Je n’ai pas aucun indicateur extrême de réussite : pas de propagation « virale » ; pas de collaboration de haute visibilité ; pas de médiatisation de maximum via des réseaux sociaux ou un service de diffusion continu. Seulement l’accumulation régulière de mon art et son infiltration silent, stable, au monde, à qui les gens répondent.
EN 2003, William Gibson a écrit dans The New York Times, ‘Dans l’âge de la fuite de données, le blog, et link discovery, quand on obtient des informations par tous les moyens nécessaires, les vérités se révèleront ou sera révélées, tard si non tôt. Il faut que chaque diplomate, politique et chef d’entreprise rend compte : le futur vous atteindra. Le futur, avec des outils de transparence jusqu’alors inimaginable, dévoilera tout.’ Dans le passé, l’information voyageait lentement. C’était gardée. En ligne, elle voyage vite, elle coule organiquement, ses mouvements impossibles à prévoir. On ne peut pas la garder, la cacher, l’obstruer, la contrôler. Les mensonges sont exposés quand on peut voir des informations de multiples sources. Le futur de la fraude artistique est le futur de n’importe quoi d’autre : les vérités se révèleront ou sera révélées, tard si non tôt.
Essai non romanesque écrit par Hazel Dooney. Première publication dans la revue Griffith Review Issue 79, ‘Counterfeit Culture’, 2023. (Available in English here.)